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Mes impressions du Québec

par David Millar
Réunion mensuelle d'Edmonton (Quakers)
Edmonton (Alberta)

Les sentiments se bousculent tellement en moi que je suis incapable de proposer une réponse «constitutionnelle» toute faite. Le fait d'enseigner depuis sept ans (en français) dans un des rares programmes universitaires destinés aux minorités francophones me permet de comprendre intimement le combat que doivent livrer quotidiennement les francophones. Ils doivent se battre contre les attitudes de la société dominante qui vont de la haine à la volonté d'assimilation, en passant par l'indifférence. Dans les Prairies, c'est un combat qui dure depuis 1870. Dans plusieurs provinces, je connais des parents qui se démènent depuis plus de 20 ans pour obtenir le droit à l'école française dans leur ville. Dans certains cas, ils se sont mêmes rendus jusqu'à la Cour suprême, à plusieurs reprises, pour obtenir, de mauvaise grâce, une reconnaissance limitée. Certains y ont laissé toutes leurs économies, d'autres leur santé. Dans certaines familles, les enfants ont décidé d'abandonner les revendications de leurs parents et grand-parents, considérant que c'était une «cause perdue». En revanche, j'ai été extrêmement touché par la joie, la créativité et la persévérance de plusieurs générations. Il y a parmi eux des artistes, des écrivains, des animateurs de théâtre communautaire - qui proposent souvent une dimension interculturelle. Par exemple, «Le Travois», à St-Norbert, au Manitoba, «The Gathering» à Lebret, en Saskatchewan, ont invité des Cris, des Sioux et des Métis, ainsi que des descendants de colons blancs à participer à leurs activités. J'ai connu peu d'étudiants dont l'ascendance n'est pas métissée. Est-il souhaitable que telle étudiante fasse une croix sur sa grand-mère ukrainienne ou son père québécois, ou que tel autre étudiant renie un parent breton, belge, acadien ou métis? La notion d'«identité» n'est pas simple, elle est souvent le résultat d'un choix délibéré et se définit par la façon dont nous vivons.

J'ai grandi dans les Maritimes où on pouvait reconnaître les Acadiens au simple fait qu'ils ne parlaient pas - pas même l'anglais - de peur de se faire reconnaître à cause de leur accent. Cette timidité due au refoulement est le résultat de plus de 200 ans d'une existence marquée par la crainte, depuis le «Grand Dérangement» de 1755, de leur retour graduel (cf l'histoire de Pélagie-la-Charette), suivi par plusieurs générations d'existence «illégale» en tant que catholiques. Je constate avec soulagement que tout cela a changé - depuis une génération, on assiste à une renaissance culturelle semblable à celle qui a eu lieu parmi les Premières nations, et sans doute pour les mêmes raisons.

J'ai travaillé pendant dix ans à Montréal et je n'oublierai jamais la façon dont les Québécois m'ont accueilli dans leur cercle d'amis et dans leurs familles. J'avais des collègues qui étaient des fédéralistes convaincus et d'autres qui étaient des souverainistes tout aussi sincères - au Québec, cette dualité d'opinions est à l'origine d'une querelle de famille longue et amère.

J'ai quitté le Québec en 1969, c'est-à-dire un an avant la crise d'octobre de triste mémoire, avant les enlèvements perpétrés par le Front de libération du Québec (FLQ) et avant la proclamation par le gouvernement canadien de la Loi des mesures de guerre. Je me souviens avoir entendu aux informations que plus de 400 personnes furent arrêtées. Parmi ces gens-là, il y avait des enseignants, des artistes, des mères de famille dont les intentions pacifiques étaient indéniables, qui furent arrêtés et considérés comme des suspects, simplement parce qu'ils figuraient sur des listes noires (souvenez-vous que la Commission royale MacDonald a révélé par la suite l'existence d'une équipe de dénonciateurs et de 800 dossiers constitués sur des «radicaux canadiens» (surtout) anglophones, des féministes, des jeunes ayant participé au programme Perspectives Jeunesse à la fin des années 60, un programme qui ressemblait au Peace Corps américain, et des pacifistes, à tel point que pratiquement toute une génération aurait pu être incarcérée aux termes de la Loi des mesures de guerre. Ma femme Barbara se souvient que les menaces de la GRC avaient contraint à annuler une réunion d'étudiants en Colombie-Britannique - et pourtant, on ne pouvait pas craindre la présence de membres du FLQ à Burnaby! La caricature dessinée par l'humoriste Aislin dans le Montreal Gazette, nous montrant un ministre du Cabinet brandissant l'annuaire téléphonique de Montréal et déclarant : «Nous avons une liste de suspects» n'était pas très éloignée de la réalité. Certains de mes amis ont passé plusieurs semaines à la prison de Parthenais, à Montréal, où l'Habeas corpus ne voulait plus rien dire du tout. D'autres ont milité par la suite dans des comités d'aide aux prisonniers politiques et dans des groupes d'Amnistie Internationale - l'équivalent exact du Meeting for Sufferings des Quakers.

Je me souviens que des dizaines de professeurs et de philosophes qui m'avaient enseigné à Toronto, dont certains que j'admirais beaucoup (jusque-là), organisèrent des manifestations appuyant l'incarcération de mes amis. Des manifestations comme celles-là, il y en a eu partout. Je me souviens d'avoir entendu, dans des tribunes téléphoniques, des gens affirmer «Mort aux frogs». À peu près à la même époque, des étudiants manitobains, interrogés par Bob Altemeyer déclarèrent qu'ils obéiraient à des ordres officiels leur demandant de tirer sur une foule, quelles que soient ses couleurs politiques, que les manifestants appartiennent au Parti communiste ou au Parti progressiste-conservateur. L'autoritarisme canadien peut être aussi brutal que n'importe quel autre. Les commentaires du pasteur Martin Niemoller concernant l'apathie des Allemands à mesure que s'amplifiaient les persécutions nazies pourraient également s'appliquer à nous : «Ils sont venus chercher des communistes, mais je n'étais pas communiste. Ils sont venus ensuite chercher des Juifs, mais je n'étais pas juif. Quand ils sont venus me chercher, il n'y avait plus personne pour me défendre.»

Je suis incapable de faire la distinction entre mes préoccupations au sujet du Québec et mes prises de position sur la justice pour les francophones et les autres minorités, pour les autochtones et pour la paix (que je définis comme des conditions d'existence sûres et décentes marquées par le respect de l'autre considéré comme un enfant de Dieu). Mon intérêt pour les solutions non violentes m'a amené à militer dans le mouvement pacifiste de Winnipeg où j'ai pu constater que tous les pacifistes n'appliquent pas toujours leurs beaux principes dans leur rapport entre eux. C'est ce qui m'a amené au Quakers. Mais je crois nous devons tous faire des efforts, car personne n'est parfait. Pendant ce temps, le gouvernement a renouvelé deux fois des accords concernant des essais de torpilles nucléaires et de missiles de croisière et autorisant des entraînements d'avion de première intervention dans les territoires autochtones non cédés des Innus du Labrador; il a continué à harceler la nation du lac Lubicon, en Alberta, et à lui raconter des mensonges, et à jeter les pauvres et les chômeurs dans la rue. En parlant des Romains, quelqu'un a dit : «Après avoir tout détruit sur leur passage, ils ont décrété qu'ils avaient instauré la paix». Ce n'est pas le genre de paix à laquelle j'aspire. Permettez-moi de conclure sur une note un peu plus optimiste en citant une chanson consacrée à la grève de l'amiante, en 1948, citée dans Le Feu dans l'amiante, de J-J Richard : «Va Québécois, sois solidaire/Ne laisse pas fléchir tes bras/Délivre-toi de la misère/La vérité t'attend là-bas».


David Millar
Prof. d'Humanités, Faculté Saint-Jean, U. of Alberta

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